Mardi 23 novembre, la conférence « Construire la ville de demain » a réuni quatre intervenants clefs pour discuter des thèmes liés à cette problématique. La ville de demain est un projet porté à la fois par les bâtisseurs et bailleurs, mais également par tous les citoyens désireux d’y loger, de l’habiter.
« Qu’est-ce que la ville de demain ? » attaque Frédérique Seels, chargée de modérer la conférence. En tant que directrice du CD2E, accélérateur de l’éco-transition, elle s’attarde sur l’aspect aussi bien matériel qu’immatériel de l’urbanisme futur. Et qui dit construction dit matériaux ! Pour inscrire la ville dans le développement durable, il faut bien sur l’aménager de manière écologique, mais également être attentif aux besoins des personnes qui y vivront. L’importance des acteurs locaux est incontournable pour cela. Frédérique Seels précise à ce sujet que collecter les besoins des usages fait d’ailleurs partie des missions du CD2E.
Construire sur de bonnes bases : l’optimisme en mur porteur
Jérémy Estrader, directeur général délégué au groupe Habitat en Région, est invité à exprimer sa vision de la construction. Pour le bailleur, construire signifie loger des personnes. Il se félicite de l’activité du groupe Habitat dans ce domaine : « Notre groupe compte 3300 collaborateurs ! » Un succès qui compte notamment sur les caisses d’épargne auxquelles il est affilié. Pour lui, la ville de demain repose sur un projet stratégique, déjà en marche. Le groupe prévoit en effet la construction de 1500 nouveaux logements à partir de janvier 2022. Pour le faire de manière responsable, un minimum de matériaux de construction biosourcés doit être respecté. Jérémy Estrader annonce aussi la fin des biens classés F ou G sur le DPE (Diagnostic de performance énergétique), en accord avec la loi, car trop énergivores. Une mesure qui augure un regain du pouvoir d’achat selon lui.
Construire des villes pour construire des vies
Que seraient les villes sans leurs habitants ? Jérémy Estrader ne manque pas d’évoquer Axentia, entreprise sociale pour habitat. « On accompagne les personnes de l’hébergement jusqu’à l’autonomie », affirme-t-il. Philippe Rémignon, président du directoire de Vilogia, bailleur social, constructeur et aménageur, embraie sur les enjeux sociaux que représente la construction urbaine : « Les bailleurs sociaux sont des aménageurs », rappelle-t-il. Son entreprise s’est également engagée à supprimer les biens immobiliers catégorisés E, notamment via la réhabilitation, mais pas question de s’arrêter là. « Si on veut rendre la ville inclusive, il faut aussi rendre des services. », explique le président du directoire. Il faut donc faciliter l’accès à des services comme les commerces ou les lieux culturels. Un point sur lequel insiste Jérémy Estrader, en soulignant l’importance de la mixité intergénérationnelle dans l’aménagement de ces services afin de ne pas isoler les personnes âgées, qui peuvent perdre de leur autonomie et souffrir de cet isolement.
« Est-ce qu’on a encore envie de construire en France ? »
Pascal Boulanger, président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers, présente quant à lui des doutes sur la possibilité de créer de nouveaux bâtiments et logements. « La société française est comme perdue, et l’État montre une schizophrénie. Beaucoup de maires, à droite comme à gauche, refusent les permis de construire. On continue de perdre de l’offre tous les mois, on arrive dans une crise qu’on a encore jamais connue. » Il le demande très directement : « Est-ce qu’on a encore envie de construire en France ? » Des propos qu’il tire de son expérience, constatant que les mairies refusent massivement des permis de construire. Il explique que la concertation nécessaire à l’obtention de ces permis est très longue, et que les réunions autour de ces questions sont des « matchs perdus d’avance ». La conséquence : une flambée des prix immobiliers, aussi bien sur le neuf que sur le patrimoine plus ancien.
Cet état de fait augure un véritable changement de paradigme pour les promoteurs.
Habiter la ville, tout un programme
L’aménagement durable signifie aussi lutter contre la ghettoïsation des classes défavorisées. Interrogés sur ce qu’il pense de l’obligation des quottas de logements sociaux, Pascal Boulanger ne cache pas son approbation : « Cela permet d’ouvrir des logements dans les quartiers bourgeois, donc d’amener de la mixité sociale. Moi je dis : vive la loi SRU ! »
Un parti qu’approuve sans réserve Carlos Moreno. Fraîchement arrivé d’Aix-en-Provence, ce professeur des universités est à l’origine du concept de « ville du quart d’heure ». « 70 % de la population active se lève aux mêmes heures, pour converger vers moins de 10 % du territoire. Cela créer un entonnoir. Il faut quitter la mobilité longue obligée, que les longues distances soient choisies. Nous devons sortir de l’entonnoir.» Carlos Moreno met en opposition la ville du quart d’heure avec « le territoire de la demi-heure », soulignant l’éloignement des logements autour des centres urbains. D’après lui, la ville de demain doit permettre à la population d’être heureuse. Et pour être heureux, il est nécessaire de créer un lien affectif avec l’espace urbain, ce qu’il nomme la « topophilie ». Il redoute plus que tout les quartiers bobos : « La gentrification, c’est l’ennemi ! » Ses maîtres mots sont « écologie », « solidarité », et « proximité ».
Carlos Moreno l’affirme et le répète, « c’est un drame de loger, mais pas d’habiter », et approuve sans réserve les propos des trois autres intervenants sur les enjeux sociaux que revêt l’aménagement urbain. L’habitat de demain est entre de bonnes mains.
Pauline DEFÉLIX