Ne gâchons pas la crise !
Les catastrophes naturelles s’enchaînent et pourtant nous ne bougeons pas. Les premiers responsables ne sont pas impactés et l’ampleur de l’enjeu fait peur. Pas préparées, sensibilisées mais peu concernées, déluges et pénuries prennent les populations par surprise. Face à la réalité de la crise, aucune action individuelle ne peut être envisagée. C’est donc collectivement qu’il faut agir, et la première des collectivités c’est l’entreprise. Mais comment peut-on leur donner l’envie de s’investir ? Quel rôle leur donner dans le combat contre l’épuisement des ressources naturelles ? Ce sont les défis auxquels se sont confrontés les trois intervenants de ce jeudi matin. Portraits.
Claire Pengelly, GreenCape (Afrique du Sud)
Octobre 2017. Après trois ans de sécheresse extrême, la municipalité du Cap alarme la population sur l’imminence d’un « Day 0 », jour auquel les réserves en eau de la ville seront épuisées. Cette annonce glaçante marque le début d’une réflexion sur l’utilisation, la transformation et la sauvegarde des ressources halieutiques.
GreenCape est une entreprise basée au Cap qui s’implique dans le développement d’une économie durable. Dans une ambiance de panique générale, Claire Pengelly, employée au sein l’organisme en tant que responsable des problèmes halieutiques, arrive avec la conviction qu’un changement ne pourra avoir lieu que si tous les acteurs, et les entreprises en première ligne, sont mobilisés.
Ces dernières ont de l’influence, elles possèdent les moyens financiers, elles ont des connaissances technologiques qui peuvent changer la donne. Et elles ont en outre un réel intérêt dans ce changement : une crise naturelle se transforme rapidement en crise économique si rien n’est fait pour la contrôler.
Un grand nombre d’entreprises « prioritaires » est ainsi rassemblé avec un objectif: être rapide. Le point de départ du programme consiste dans une prise de conscience de la consommation réelle d’eau. Des méthodes « sur mesure », adaptées aux caractéristiques des entreprises sont ensuite mises en place pour tendre vers une autosuffisance.
Quelques mois après le lancement du programme, le bilan est très positif : la crise commence à s’estomper, la consommation d’eau des entreprises a diminué en moyenne de 40% et près de 74000 emplois ont été créés.
« A crisis is an opportunity for significant change », soulignait Claire Pengelly. Tourner une crise en opportunité, faire preuve de résilience pour amorcer un changement et éviter un désastre, c’est un véritable tour de force qui a été accompli par GreenCape dans l’une des plus grandes villes d’Afrique du Sud.
Benoît Ringot, Veolia (France)
Bangladesh, Mexique, Japon, Véolia est implantée à l’international. Confrontée à des réalités locales différentes, des enjeux particuliers et uniques, elle est obligée de développer des solutions adaptées. Forte de plusieurs expériences, l’entreprise, par la voix de Benoît Ringot a acquis la conviction qu’il fallait changer de modèle, développer l’agriculture urbaine et promouvoir l’innovation sociale. La société de demain doit être résiliente.
Benoît Ringot est particulièrement actif dans la ville d’Aguascalientes au Mexique, ville dans laquelle Veolia produit et distribue de l’eau potable. Depuis quelques années puiser de l’eau devient un défi. Il faut la chercher au plus profond des réserves, perturbant un équilibre fragile et altérant la qualité des ressources distribuées. « L’eau est chaude » se plaignent des habitants, elle est plus traitée, elle a un « goût ».
La raison principale de ces perturbations est la surconsommation. 77% de l’eau collectée sert en effet pour l’agriculture. La situation devient urgente et des solutions doivent être trouvées rapidement. Véolia fait donc appel à des spécialistes et engage des recherches. Une série d’expériences ont ainsi vu le jour : installation de goutte-à-goutte dans certains champs, nouvelles manières de produire et de cultiver, tout cela est testé directement sur les terres environnant Aquacaliente. Les résultats sont en attente, s’ils s’avèrent positifs, cela ouvrirait la voie à une généralisation de pratiques plus durables, plus supportable pour un écosystème trop longtemps malmené.
David Seve, Nature et Découvertes (France)
Derrière les vitrines de la marque à la tortue verte, se cache un objectif : reconnecter l’homme à la nature. L’homme a un impact sur son environnement, un impact qu’il peine parfois à mesurer.
Nature et Découvertes a donc décidé de s’engager pour un développement plus durable, plus soutenable, et son engagement est assez particulier. Persuadée de l’importance du «local », l’entreprise a choisi d’encourager des initiatives proposées par ses employés. « Les entreprises peuvent donner la main aux citoyens », souligne David Sever, et l’entreprise est avant tout un rassemblement de citoyens. Quatre fois par ans les employés de Nature et Découverte peuvent ainsi proposer des actions qui ont lieu près de chez eux et qui leur tiennent à cœur et tenter d’attirer des soutiens financiers.
La force de ce programme réside dans le rôle que s’attribue l’entreprise. Soutien financier certes, mais avant tout créatrice de liens, elle met en relation le personnel en magasin qui communique sur ces actions et les consommateurs sur des thématiques durables et locales. Ces derniers sont ainsi embarqués dans une dynamique, qui leur fait prendre conscience de ce qu’il se passe dans leur environnement proche en leur donnant l’occasion d’y contribuer. Un cercle à première vue très vertueux !
Cette démarche s’inscrit tout à fait dans le mouvement B-Corp auquel appartient Nature et Découverte. L’entreprise ne doit pas seulement être un exemple, elle doit partir des besoins des salariés et les faire converger vers des solutions plus durables.
L’entreprise, un hub du « durable » ?
Rien ne sert de faire de grands plans, de grandes réformes, le changement viendra du concret et donc du local, d’initiatives particulières, directement inspirées du quotidien. Des initiatives pouvant être coordonnées par ces monstres du business que sont les entreprises, souvent dévalorisées dans l’opinion publique mais tellement fédératrices ! Faire d’un mal un bien, tourner une faiblesse en une force, sauter sur le tremplin de la crise pour provoquer un changement, c’est bien là la morale de cette conférence. Don’t waste a crisis s’est exclamée Claire Pengelly au début de son intervention, ne gâchons par la crise, rendons-la productive.
Servane de Pastre