Mathieu Brun est directeur scientifique de la fondation Farm (Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le monde). Cette fondation à renommée mondiale s’engage à accompagner le développement d’agricultures durables dans le monde et particulièrement dans les pays en développement. M. Brun est aussi docteur en science politique et chercheur associé au laboratoire « Les Afriques dans le monde » de Science Po Bordeaux.
Matthieu Brun a aujourd’hui animé la conférence internationale intitulée « Transition vers une alimentation durable : perspectives mondiales et mesures concrètes pour l’agro-alimentaire ». Au cours de cette session, les intervenants ont partagé leurs solutions et conseils pour nous éclairer sur comment consommer plus durable. Matthieu Brun, modérateur lors de cet échange, est une personnalité intéressante que nous avons souhaitée découvrir à travers quelques questions.
Chez Farm, en quoi consiste votre mission et comment accompagnez-vous les agriculteurs dans une transition durable ?
Je suis directeur scientifique de la fondation Farm. Je m’assure que la production et les contenus de recherche sont de qualité scientifique et je m’occupe des partenariats avec les institutions de recherche. Farm est un think tank, c’est-à-dire que nous ne faisons pas de la recherche comme peuvent le faire les grands instituts de recherche, mais nous travaillons à partir d’expertises.
Notre mission est d’éclairer les décideurs. Nous devons faire en sorte que les politiques publiques françaises, européennes ou internationales, soient adaptées à la magnitude du changement et des transformations que doivent vivre l’agriculture dans le monde. Nous sommes très orientés vers les pays du Sud parce que la magnitude du changement y est très importante. Le continent africain s’apprête à doubler sa population, ils font face au changement climatique, ils n’ont pas de banques, comme en France, qui les accompagne et qui les financent. Donc, nous, notre impact, c’est essayer de faire en sorte que tous les acteurs se mettent en route pour accompagner la transformation des agriculteurs dans les pays du Sud. Qu’ils soient payés au juste prix et qu’ils aient les moyens de changer leurs pratiques.
Selon vous, quels sont les enjeux géopolitiques auxquels sont confrontés les pays en développement concernant l’accès aux ressources alimentaires, la transition ?
Le premier enjeu est celui de l’accès à l’alimentation. Certains pays, comme le Pakistan et l’Égypte, importent une grande partie de leur production agricole. L’Égypte ne possède qu’un filet d’eau [le Nil] dans un désert, pour approvisionner sa population, que ce soit pour les usages domestiques ou agricoles. Il y a donc une forte pression autour de l’eau qui paralysie la production de denrées alimentaires au sein du pays. De plus, quand les prix augmentent, à cause de guerres et d’instabilités politiques, cela entraine de vraies difficultés économiques pour les individus qui souhaitent s’acheter cette nourriture de base.
Deuxième enjeu qui me semble très important en matière de géopolitique, c’est l’accès aux intrants et aux fertilisants. En France, on a un débat sur l’usage excessif d’intrants. Mais en Afrique subsaharienne, en Asie et en Amérique du Sud, on en utilise en réalité très peu. De ce fait, s’ils avaient davantage accès aux intrants minéraux, chimiques ou organiques, on pourrait augmenter la productivité agricole et donc répondre à l’insécurité alimentaire.
Puis bien évidemment, il y a les enjeux géopolitiques liés au changement climatique. Je prends le cas du Pakistan, qui a connu, l’année dernière, des inondations absolument énormes. Ce sont des millions de personnes qui ont perdu l’accès à leurs terres agricoles. Et donc derrière, ce sont aussi des relations qui se tendent, des tensions sociales, des tensions politiques. Il y a un vrai risque, je pense, entre le changement climatique et la stabilité politique et juridique.
Quelles sont les pratiques agricoles à valoriser et celles à abolir ?
Je ne sais pas si on peut classifier les pratiques agricoles. En revanche, il y a des pratiques à valoriser, qui passent par la connaissance de l’agriculteur, de l’écosystème qui lui permet de travailler avec les ressources naturelles disponibles. On peut regarder les pratiques agroécologiques, c’est-à-dire celles qui considèrent l’environnement et l’écosystème naturel. Par exemple, l’agroforesterie, autrement dit l’utilisation d’arbres dans une culture, a beaucoup d’effet positifs comme la fertilisation du sol. Les feuilles mortes se transformant en humus.
Pour répondre à votre question : oui, il y a des pratiques à bannir. La pratique de la monoculture est catastrophique. Ce type d’agriculture intensive n’a aucun sens parce qu’elle ne reflète pas l’état naturel de l’environnement. Cependant, il est important de rappeler que c’est aussi notre rôle de consommateur de casser ces monocultures en consommant mieux et de manière raisonnée.
Propos recueillis par Charlie BESSENAY