Entretien avec Maria Correa, directrice de la communication et de l’engagement communautaire à B-Lab Europe.
La musique s’élève, la conférence se termine, Maria Correa descend de l’estrade. L’occasion de revenir avec elle sur son parcours, ses motivations, et ce qui l’a poussée à s’engager au sein de B-Lab, après avoir travaillé près de dix ans auprès d’entreprises mondiales.
Pourquoi avoir choisi de vous investir au sein de B-Corp ?
« Mon milieu a d’abord été celui de la publicité. En tant qu’ancienne étudiante en communication, j’ai été fascinée par la capacité du “storytelling” à modifier nos comportements et à favoriser des échanges culturels. Mais en même temps, j’ai aussi découvert quel type de pouvoir nous donnait ce type d’activité.
J’ai travaillé avec de grandes entreprises sur des campagnes abordant la réduction des déchets plastiques ou la lutte contre les inégalités. Sauf qu’au final, on finit toujours par vendre des produits. Ça m’a ouvert les yeux : plus j’en apprenais sur le monde et les enjeux environnementaux comme sociétaux, plus je me rendais compte que je n’avais pas spécialement envie d’être directement impliquée dans ce système.
C’est pourquoi j’ai choisi de m’orienter vers une organisation à but non lucratif complètement centrée sur la lutte contre les déchets plastiques. Mais cette expérience a été l’occasion d’une prise de conscience. Les organisations à but non lucratif ont un rôle à jouer, mais elles n’ont souvent pas les ressources nécessaires pour inspirer un changement à grande échelle. Nous travaillions avec des scientifiques incroyables et nous avions une mission très engageante. Sauf que personne ne voyait ce que nous faisions. A titre de comparaison, si Corona, la marque de bière, changeait leur emballage, ne serait-ce que pour un été, ce serait sur toutes les lèvres…
Ce sujet me titillait pas mal à l’époque. Et puis j’ai découvert B Corp, ou plutôt, j’ai redécouvert B-Corp. J’ai autrefois travaillé avec eux quand je me trouvais chez Ben & Jerry’s, et en intégrant l’organisation, je me suis sentie vraiment engagée. En fait, ce qui me semble vraiment intéressant dans B-Corp, c’est que c’est une organisation à but non lucratif, mais qui travaille toujours avec de nombreuses entreprises. Ça permet d’incarner l’idée que la solution aux enjeux globaux auxquels nous sommes confrontés ne peut être unique.
B-Corp est une communauté mondiale, ce qui nous permet d’aborder des problèmes très différents, et en même temps, d’offrir un cadre de valeurs unique qui peut aider les entreprises à vraiment s’investir. »
Justement, comment faites-vous pour donner aux entreprises l’envie d’intégrer ce cadre de valeurs que vous proposez ?
« J’adore la question ! C’est un peu la conversation qui revient à chaque fois quand les entreprises cherchent à obtenir notre certification qui est, c’est vrai, difficile à obtenir. Pour faire clair, les données sont cruciales. Elles permettent de montrer qu’entrer dans une démarche responsable, c’est à la fois possible et bénéfique, que c’est ce que les consommateurs demandent. Ça permet de créer un narratif, de permettre à certains de témoigner de leurs expériences… Nous proposons aussi des documentaires, pour sensibiliser les gens aux possibles impacts négatifs de leur activité. Ils peuvent prendre conscience de ce qui pose un problème et, contrairement à ce que l’on peut penser, il y a une vrai demande publique autour de cela. En revanche, c’est vrai, nous n’utilisons pas les mêmes outils que pour d’autres campagnes publicitaires… Renouveler les canaux de communication fait aussi partie du jeu !
Nous pouvons aussi utiliser le pouvoir de la communauté. Nous ne nous contentons pas seulement de raconter une histoire ou de rapporter une déclaration d’intention. Nous partageons plusieurs études de cas qui peuvent convaincre différentes entreprises. Quel impact réel cela a-t-il exactement ? C’est comme si c’était en cours, une façon d’informer les entrepreneurs. Et c’est une justification commerciale. Investir dans un avenir plus durable est un avantage comparatif par rapport à d’autres. »
Mais, comment faire pour contrer les possibles accusations de greenwashing qui peuvent exister à l’encontre des entreprises qui s’investissent pour le climat ?
« C’est une accusation qui revient très souvent, à laquelle nous tentons d’apporter plusieurs réponses. Pour ce qui est de B-Corp, les entreprises qui obtiennent notre appui doivent fournir un rapport d’impact. Celui-ci est vérifié par des analystes, de manière rigoureuse, et toutes ces informations sont accessibles, dans une démarche de transparence. Les entrepreneurs doivent prouver qu’ils font réellement ce qu’ils disent.
Cette publicité de l’information nous permet de repérer les domaines dans lesquels les entreprises se débrouillent bien comme ceux où ils ont besoin de s’améliorer. Par exemple : une entreprise peut très bien se débrouiller au niveau de son impact environnemental, mais ne pas offrir de bons avantages à ses travailleurs.
Cette transparence favorise également l’esprit de responsabilité. Dans le cas de B Corp, les certifications que nous attribuons ne durent que trois ans. Par conséquent, si une entreprise cessait de respecter les valeurs de l’organisation, elle ne verrait pas sa certification renouvelée.
Nous disposons aussi un système de plaintes public. Si quelqu’un, n’importe quel citoyen, pense qu’une entreprise fait du greenwashing, il peut déposer une plainte. De même, si un scandale éclatait, à la suite d’un reportage dans les médias ou dans un livre, nous engageons immédiatement une enquête.
Après, comment une entreprise peut convaincre d’autres entreprises à s’investir dans une démarche plus responsable ? À mon avis, elle doit commencer à convaincre leur chaîne d’approvisionnement et leurs partenaires. Commencer par là est déjà un bon début.
Je vais vous donner un exemple : certaines entreprises comme Alpro ne travailleront qu’avec des B-Corps. Donc, d’un point de vue commercial, d’autres entreprises, d’autres fournisseurs, se disent : “ok, je dois me certifier pour pouvoir bénéficier de cette transaction commerciale avec cette grande entreprise”. Je pense qu’utiliser ce genre de réseau est très puissant.
Après, simplement partager une histoire, montrer une croissance, peut être très inspirant. Des entreprises comme Guinness, qui sont certifiées depuis 2016, ont ainsi démontré une augmentation de leurs bénéfices, ainsi qu’une augmentation de leur impact environnemental. Je pense que partager cette étude de cas aide à convaincre d’autres entreprises et donc, à changer les choses… »
Propos recueillis par Eva Montford