Luvuyo Rani est le co-fondateur et directeur de l’enterprise sud-africaine Silulo Ulutho Technologies. Ce qui a commencé comme un service de réparation d’ordinateurs et un cyber café il y a douze ans est aujourd’hui un réseau de centres de formation qui accueille 4000 étudiants chaque année dans les townships du pays. Nous avons discuté avec lui d’éducation, d’émancipation et du pouvoir de la technologie.
Quel est votre parcours ?
J’ai 42 ans, je suis né en Afrique du Sud dans la région du Eastern Cape. J’ai d’abord été professeur, puis j’ai démissionné. J’ai commencé à vendre des ordinateurs reconditionnés, j’ai ouvert un cyber café, et puis un centre de formation. Aujourd’hui j’ai 46 centres informatiques dans tous le pays, qui font lieu à la fois de cyber cafés et de centres de formation. Nous avons également 20 franchises qui sont gérées par d’anciens membres de notre équipe et des entrepreneurs. Nous voulons avoir un impact sur l’éducation, l’émancipation, la technologie et l’entrepreneuriat.
Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer une activité de formation ?
Quand j’étais professeur, j’ai vu que beaucoup d’enfants ne savaient pas utiliser d’ordinateur, et je sais à quel point l’éducation est importante. Aujourd’hui encore, il n’y a pas de connexion et pas d’infrastructures dans les townships et les zones rurales d’Afrique du Sud. Les jeunes n’ont pas accès aux compétences informatiques. Donc j’ai décidé d’apporter les équipements là où on en a besoin. Les gens m’ont dit que j’étais fou : pourquoi les apporter là où il y a des délits, des cambriolages ? Et j’ai répondu : c’est ici qu’on en a besoin. Je comprends le marché, je comprends le besoin, j’ai pris un chemin que les gens n’empruntaient pas vraiment, et j’ai pu offrir ce service. Maintenant, les gens qui viennent dans les townships veulent me parler à moi !
Qu’est-ce que vous enseignez dans vos centres ?
Les gens doivent pouvoir utiliser un ordinateur pour trouver un emploi, financer leur entreprise, faire leur travail (beaucoup d’étudiants viennent chez nous), acquérir les compétences dont ils ont besoin pour lutter contre le chômage. Les gens qui viennent nous voir n’ont jamais touché un ordinateur auparavant, c’est leur première entrée sur le marché du travail, donc on est vraiment à un niveau débutant. Mais on est en train de s’étendre, on ajoute du marketing visuel, de l’administration, du design graphique, etc. Donc on grandit avec eux. On commence avec les bases, et puis on ajoute de nouveaux cours. Nous avons 4000 étudiants par an et, en moyenne, nous voyons plus de 200 personnes chaque jour, qui viennent pour faire des copies, pour l’accès à Internet, pour des services liés à leur business comme le design de leur site ou la conception de business plans, etc.
Quel est le contexte en Afrique du Sud aujourd’hui ?
On a commencé à Kayelitsha, le deuxième plus grand township d’Afrique du Sud, où vivent 1,5 million de personnes. 60% d’entre eux sont au chômage, et c’est beaucoup de jeunes gens. 80% des étudiants qui viennent chez nous sont des femmes. Au niveau national, le taux de chômage est de 28%. Nous sommes dans une période de récession et les gens ont besoin de nouvelles compétences pour trouver des emplois. Nous sommes dans une situation où nous avons besoin de plus d’infrastructures sociales pour régler ces problèmes.
Pensez-vous que les entreprises à caractère social ont le pouvoir de faire ce que les gouvernements ne veulent ou ne peuvent pas faire ?
Oui. L’entreprise sociale peut faire ce que le gouvernement a échoué à accomplir à cause de sa corruption. Nous pouvons offrir l’accès, la connexion, la formation. Nous pouvons occuper l’espace que le gouvernement n’occupe pas.
… La technologie va changer notre manière de faire les choses. Et je pense que nous allons progresser dans la bonne direction …
Comment voyez-vous le futur de votre entreprise et de votre pays ?
Nous sommes à une époque très intéressante en tant que pays, en tant que continent, en tant que planète. La technologie va changer notre manière de faire les choses. Et je pense que nous allons progresser dans la bonne direction, parce que nous allons permettre au plus grand nombre d’avoir de nouvelles opportunités et de nouvelles capacités d’émancipation. L’Afrique du Sud est un pays qui s’améliore, en termes d’infrastructures et de systèmes. Nous aurons un jour un nouveau gouvernement, et j’espère qu’alors les gens reviendront investir ici. À partir de là, nous verrons les étudiants recevoir une meilleure éducation, peut-être même apprendre à coder avant d’obtenir leur diplôme. En ce qui nous concerne, je nous vois devenir des centres encore plus grands dans les zones rurales et les townships, où des gens de toutes sortes viendront. Il y a beaucoup d’opportunités excitantes à venir en Afrique du Sud.
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