Entretien avec Aurélien BIGO, ingénieur et chercheur sur la transition énergétique des transports.
A travers ces trois questions, Aurélien Bigo nous évoque la nécessité de développer une diversité de modes de transports alternatifs à la voiture individuelle, pour tendre vers des mobilités plus durables. Sobriété et technologie font partie des leviers d’action mobilisables, y compris du côté des entreprises, pour opérer une transition durable.
Quels ont été les moments clés de votre parcours ainsi que les expériences qui ont le plus influencé votre trajectoire jusqu’à présent?
Aurélien Bigo (AB) : À la suite d’études de géologie et d’économie de l’environnement, j’ai réalisé une thèse sur le sujet de la transition énergétique des transports intitulée « Les transports face au défi de la transition énergétique : exploration entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement. » L’idée était de voir, à l’échelle de la France, comment il est possible d’atteindre nos objectifs climatiques d’ici 2050. A la suite de cette thèse, j’ai travaillé pendant plus d’un an au sein l’agence de la transition écologique (ADEME) autour du volet transports des scénarios de prospective du projet transition 2050. Pour rappel, l’idée était de de construire 4 scénarios très contrastés permettant de parvenir à la neutralité carbone, à travers des récits de transition assez différents. Depuis début 2022, je suis chercheur indépendant associé à la chaire énergie et prospérité, et mène également des activités de vulgarisation sur ces sujets là. Plus récemment, j’ai eu l’occasion de co-écrire le livre « Voitures, Fake or not ? », aux côtés d’Isabelle Brokman, qui reprend le sujet de la transition de la mobilité sous l’angle de la voiture.
Vous partagez l’idée que « L’avenir de la voiture électrique, mais l’avenir n’est pas la voiture. ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
AB : Etant actuellement le mode de transport dominant, la voiture fait débat quant à l’avenir de ses usages. Le sujet de l’électrique amène lui aussi énormément d’interrogations. Cette formule vient résumer le fait que l’électrique n’est pas une technologie parfaite, mais c’est en quelque sorte la meilleure des solutions que nous avons à disposition, notamment pour réussir à sortir du pétrole d’un point de vue climatique. Pour autant, la voiture, même électrique, reste un mode de transport fortement consommateur de ressources. L’électrique vient limiter certains impacts tels que ceux liés à la pollution de l’air, la pollution sonore. Cependant, il y a d’autres problèmes posés par la prédominance de la voiture dans nos mobilités qui ne seront pas résolus par le passage à l’électrique. L’accidentalité routière, la sédentarité, ou encore les difficultés sociales liées à l’accès des véhicules par le coût financier qu’ils représentent : consommant plus de ressources, ils sont plus chers que les modes de transport plus sobres. Passer à l’électrique reste un défi, d’autant plus si on ne le fait pas avec une certaine sobriété dans nos déplacements.
Je ne dis pas qu’il n’y aura plus de voiture à l’avenir, mais plutôt qu’il faut envisager nos mobilités différemment, et essayer autant que possible de sortir de la logique dominante liée à l’utilisation de la voiture individuelle, qui représente une inefficacité du système. Un véhicule d’une tonne de 5 places utilisée pour un seul passager parfois, démontre un réel manque d’optimisation. D’importantes marges de sobriété résident dans le fait de passer à d’autres modes de transport, tels que des véhicules plus sobres, plus petits, et mieux partagés. Cela demande de réimaginer l’organisation de nos déplacements et notre territoire, et d’essayer autant que possible d’utiliser des mobilités plus vertueuses que la voiture.
Pourquoi les entreprises ont-elles un intérêt à se saisir du sujet ? Quelles actions peuvent-elles mener en tant qu’organisation ?
AB : De nombreux leviers sont actionnables, tant dans du côté de la sobriété des mobilités, que des changements technologiques.
Du point de vue de la sobriété, elles peuvent agir sur les différents types de transport où les entreprises ont un impact. Des évolutions sont possibles quant à la mobilité professionnelle des salariés, en utilisant moins l’avion ou la voiture, en favorisant les transports en commun, ou les modes de transport plus sobres tels que la marche ou le vélo, ou l’électrique. Du côté des déplacements domicile-travail, les employeurs peuvent mettre en place des incitations, qu’elles soient fiscales avec le forfait mobilité durable pour subventionner le covoiturage à titre d’exemple, ou encore mobilières, en mettant à disposition des installations permettant de faciliter l’usage d’autres modes de transport. Des stationnements sécurisés, l’accès à des douches ou des vestiaires : ce sont des choses pratiques qui peuvent sembler simples, mais peuvent représenter un réel frein lorsqu’elles n’existent pas, par exemple à la pratique du vélo. L’on peut aussi agir au niveau de la gestion des flottes de véhicules d’entreprise, en mettant à disposition des véhicules de fonction et de service, tout en électrifiant et rendant plus sobres ces derniers en les diversifiant. Les vélos cargos, vélos à assistance électrique, et voiturettes, peuvent eux aussi faciliter certains déplacements d’entreprise et favoriser l’intermodalité.
D’autre part, concernant les transports liés à de la logistique, les leviers sont assez similaires et consistent à limiter et optimiser les flux par le poids transporté, la distance parcourue, mais aussi les modes de transports utilisés. Il faut faire en sorte que les flux logistiques passent davantage par le ferroviaire, le fluvial ou par la cyclo logistique, plutôt que par le routier. Enfin, l’on revient au volet technologique qui consiste à se séparer autant que possible du pétrole. Cela est de plus en plus envisagé, et d’autres énergies viendront sûrement compléter l’offre existante à l’avenir.