L’entreprise pour quoi faire ?
> la réponse d’Antoine Frérot, PDG Veolia au 10e World Forum for a Responsible Economy
« Une entreprise n’existe que parce qu’elle sert les intérêts de toutes ses parties prenantes »
Antoine Frérot, PDG Véolia – 10 octobre 2016
10e World Forum for a Responsible Economy
Le projet de loi PACTE, en discussion les prochains jours, se propose de refonder la philosophie de l’entreprise. Changement du code civil versus création d’entreprises à mission.
Faisons le point.
Le contexte
Pourquoi maintenant ? L’entreprise au carrefour de grands défis !
L’entreprise fait face à une crise de légitimité et de défiance de la société. L’indicateur de confiance que publie chaque année le Cevipof, cité par le rapport Terra Nova montre, que seulement 43% des français font confiance aux entreprises en 2017. Antoine Frérot de reformuler lors de la plénière d’ouverture du World Forum for a Responsible Economy en 2016 : “Cette question est particulièrement d’actualité et notamment dans notre pays … parce qu’aujourd’hui l’entreprise est contestée.”
En même temps selon une étude organisée par le CSA pour le compte d’Havas Paris, 73 % des Français estiment en effet que les entreprises n’ont jamais été mieux placées pour transformer la société. 65 % pensent qu’elles sont plus à même d’avoir une vision long terme que des élus soumis à réélection.
Nous sommes en train de vivre des mutations économiques profondes, avec des effets disruptifs aux multiples conséquences et ce à une vitesse incroyable. L’essoufflement du modèle de croissance traditionnel, sous les coups du numérique, de l’IA et du développement de modèles économiques de plateformes type (Uber, AirBnb …), menacent l’entreprise fordienne. Les nouvelles aspirations à avoir une autonomie et du “sens” dans le travail, les nouvelles réponses organisationnelles comme l’intrapreneuriat, l’holacratie ou l’entreprise libérée bouleversent des formes d’organisation rigides et fortement hiérarchisées.
Aujourd’hui le travail ne se produit plus, ne s’imagine plus comme il était hier, l’entreprise est obligée de se remettre en question, de se réinventer, parce que toutes ces mutations en cours bousculent ses modes de gouvernance, son offre, ses process et vont jusqu’à mettre en cause sa pérennité.
Il y a donc un défi voire plusieurs posés à l’entreprise pour répondre à ces grands enjeux !
Des démarches d’entreprises pionnières
Pour y répondre de nombreuses entreprises sont déjà engagées dans une économie responsable à travers leur politique RSE. L’étude de référence France Stratégie, qui examine le lien entre la RSE et la performance économique sur environ 8 500 entreprises françaises, incluant les PME, elle conclut que « la RSE procure un gain de performance en moyenne de l’ordre de 13 % par rapport aux entreprises qui ne l’introduisent pas, en particulier quand elle relève de l’initiative volontaire et non de mesures contraignantes ».
La lettre du CEO de Black Rock, le plus grand gestionnaire de fonds d’actifs mondial, qui mentionnait que “Les entreprises doivent bénéficier à l’ensemble de leurs parties prenantes”, n’est qu’un autre exemple récent. Les 1 200 actions concrètes RSE d’entreprises de toutes tailles engagées dans l’économie responsable recensées sur la plateforme de Bonnes Pratiques RSE BipiZ sont déjà très convaincantes !
En plus de 10 ans, le World Forum for a Responsible Economy a vu évoluer de nombreuses entreprises profitables et engagées dans des démarches responsables démontrant que ces deux objectifs ne sont pas inconciliables ! Les entreprises intervenues au Forum depuis 2007 nous l’ont encore démontré.
Pour mémoire, en 2016, lors de sa 10e édition, le World Forum s’interrogeait déjà sur la mission de l’entreprise : “L’entreprise pour quoi faire ?” L’entreprise devait déjà se réinventer continuellement et en profondeur. L’entreprise devait œuvrer pour l’intérêt collectif.
D’un point de vue juridique, où en sommes-nous ?
Jusqu’ici le droit ne fait pas mention du terme “entreprise” mais utilise celui de “société commerciale”. Il définit une société comme constituée dans l’intérêt des associés, à savoir que la société n’a pour seul but que de maximiser la valeur actionnariale et, de ce fait, limite normalement le pouvoir aux seuls actionnaires.
Si l’entreprise devient donc bien un acteur incontournable pour apporter des réponses voire résoudre parfois les grands défis planétaires, humains et sociétaux, elle se doit de réconcilier attentes de la société, mutations économiques profondes et ses démarches volontaires RSE.
C’est ce que se propose de faire le gouvernement actuel avec le projet de Loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) : refonder le projet de l’entreprise.
David Malan – Getty Images
Le projet de loi PACTE : Kézako ?
Le projet de loi PACTE s’est donné deux objectifs :
– Faire grandir les entreprises pour leur permettre d’innover, d’exporter et de créer des emplois.
– Repenser la place des entreprises dans la société et mieux associer les salariés à leurs résultats.
Le projet de loi PACTE se veut repenser les finalités de l’entreprise, ce qui redéfinit d’autres aspects : le partage de la valeur (comment doit se partager la valeur créée par l’entreprise ?), la gouvernance (qui contrôle l’entreprise et comment s’opère le processus de décision ?) les responsabilités juridiques de l’entreprise (De quoi l’entreprise est responsable/quelles sont les externalités dont l’entreprise est juridiquement responsable ?) …
Ce qui fait débat autour du projet de loi Pacte :
Ce débat traverse tous les corps économiques de la société notamment chez les syndicats patronaux et organisation professionnelle chez qui la question d’un changement de statut légal de l’entreprise divise. Pour atteindre ces objectifs, 2 options se profilent. Faisons le point !
#1 Refondre le code civil, l’option d’une transformation pour toutes les entreprises
En prévision du Conseil des Ministres du 2 Mai, le rapport parlementaire Senard-Nota, présenté le 9 mars dernier, propose de réformer le code civil.
Le rapport Senard-Nota propose de réformer le code civil, de transformer l’objet social des sociétés pour inclure les intérêts des parties prenantes (et ne plus le limiter qu’aux intérêts des seuls actionnaires). Les parties prenantes ce sont les actionnaires, les salariés, les financeurs, le consommateur, le territoire d’action… Ainsi, le nouveau code civil demanderait légalement à l’entreprise de trouver un équilibre entre les intérêts divers des parties prenantes.
Concrètement si ce changement de définition de l’objet social de l’entreprise se concrétisait, il conduirait à un élargissement de l’organe de décision de l’entreprise. Comme le suggère Antoine Frérot dans son discours, le Conseil d’Administration pourrait comprendre des représentants de chaque partie prenante. La mise en place d’une telle reconfiguration du CA nécessiterait de nombreuses réformes juridiques comme le soulignent Bertrand Valiorgue & Xavier Hollandts, ces deux professeurs de stratégie des entreprises.
#2 Les entreprises à mission, l’option d’une transformation volontaire des entreprises
Les détracteurs d’un changement du code civil remettent en cause la volonté du législateur de revenir sur le caractère volontaire d’une politique RSE. Une solution leur semble convenir davantage avec la création d’un statut idoine : les entreprises à mission. Selon l’étude menée par Prophil, une entreprise à mission est constituée par des associés qui stipulent dans leur contrat de société une mission sociale, scientifique ou environnementale qu’ils assignent à leur société en plus de l’objectif de profit.
Ce nouveau type d’entreprise articule donc rentabilité économique et contribution au bien commun. Danone se définit par la voix d’Emmanuel Faber comme ayant pour mission d’assurer la souveraineté alimentaire et de développer les droits à une alimentation durablement saine. Pour Bertrand Valiorgue & Xavier Hollandts, Emmanuel Faber va bien au-delà du double projet économique et social qu’Antoine Riboud, que le Fondateur de Danone, avait théorisé, il développe un véritable projet politique. C’est à l’entreprise de définir sa raison d’être.
Les entreprises à mission vont plus loin que la seule politique RSE. Une politique RSE, même fortement incarnée, peut ne pas résister à un changement de culture actionnarial ou managérial dans l’entreprise. Car, en effet, la politique RSE n’a pas de fondement juridique. C’est donc pour institutionnaliser leurs engagements responsables que certaines entreprises deviennent des entreprises à mission. Passer d’une politique généralement informelle et poussée par la direction RSE à une inscription de ces engagements dans l’ADN même de l’entreprise. Ceci a pour intérêt d’ancrer durablement et de pérenniser la mission de l’entreprise.
C’est ainsi que pour ne pas dénaturer les engagements de l’entreprise qu’il a fondé et assurer le passage de relais à ses enfants, qu’ Yvon Chouinard, a transformé Patagonia en une entreprise à mission.
La France en retard ?
Face à ce dilemme, les équipes World Forum et BipiZ de Réseau Alliances vous proposent de faire un tour d’horizons de ce qui se fait de par le monde et ainsi vous sensibilisez et forger votre propre avis.
Les changements du code civil dans les autres pays du monde
D’après le Rapport Terra Nova ”Gouvernance des entreprises”, sur quinze juridictions de pays européens étudiées, en France, plus que dans les pays anglo-saxons, les pouvoirs dévolus aux actionnaires dans la gouvernance de l’entreprise sont plus importants.
De son côté, le droit européen est lui aussi en avance sur le droit français en marquant la différence entre société et entreprise. Dans la perspective européenne, la performance des entreprises doit s’apprécier aussi bien sur ses volets sociétaux et environnementaux que sur ses volets économiques et financiers.
Déjà une diversité de statuts dans le monde
A la recherche d’activités lucratives ET de missions sociétales, dans le monde d’abord, ces dernières années ont été propices à l’innovation vers de nouveaux statuts d’entreprises dans différents pays :
Aux États-Unis depuis 2008 : L3C (Low-Profit Limited Liability Companies) pour les structures à but lucratif recherchant l’impact social ; Benefit Corporation, PBC (Public Benefit Corporation) ; SPC (Social Purpose Corporation). L’exemple de Patagonia une benefit corporation.
En Italie : Società Benefit (2015), qui s’inspire du statut américain de Benefit Corporation. À l’exemple de l’entrepris D-Orbit qui a intégré ce statut.
Au Luxembourg : Société d’impact social. En Belgique : Société à finalité sociale. En Grande-Bretagne : le CIC (Community Interest Company) depuis 2005, dont s’est inspiré le Canada pour son statut de Community Contribution Company. Et en France : la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) ou la Sose (Société à objet social élargi), statut expérimenté par le créatif repreneur de la Camif.
Des entreprises déjà en action !
En France, comme en Europe, les entreprises ont déjà pris conscience du changement qui doit s’opérer et s’engagent déjà depuis quelques années à différents niveaux pour faire évoluer leur gouvernance en ne prenant plus seulement en compte les dimensions économiques et financières mais en y intégrant aussi les dimensions sociétales et environnementales. Confer bilan depuis 20 ans de Réseau Alliances et des résultats d’enquête organisés tous les 2 ans en Région avec le concours des services Etudes de la CCIR.
Vers un nouveau statut d’entreprise hybride ? Inciter les entreprises à concilier performance économique et mission sociétale c’est les amener à intégrer une dimension sociale et environnementale dans le fondement de leur entreprise et contribuer à rendre l’économie de marché plus responsable. Les entreprises de la communauté B-Corp (benefit corporation), ne veulent pas être les meilleures DU monde mais les meilleures POUR le monde. Communauté internationale d’entreprises en plein essor, le mouvement B-Corp démontre ses impacts positifs sur la société et compte déjà plus de 2 200 entreprises dans plus de 50 pays, dont Patagonia, Alessi, Natures et Découvertes, Fairphone. Le mouvement français a été lancé en 2015 au World Forum for a responsible economy.
Comme aux USA, et récemment en Italie, cette jeune communauté souhaite faire émerger en France un nouveau statut d’entreprise qui reconnaîtra une double vocation de but lucratif et d’intérêt général : « Legalize Doing Good ».
Pour entrer dans la communauté, les entreprises sont évaluées puis doivent inscrire leur engagement dans leurs statuts légaux d’entreprise. Réseau Alliances est l’animateur en région Hauts-de-France de la communauté.
Découvrez ces acteurs qui se penchent déjà sur l’émergence d’un tel statut en France et écoutez les témoignages d’entreprises certifiées B Corp.
Voici une Bonne Pratique de Give Something Back une entreprise B-Corp.
Voici encore quelques exemples vertueux d’entreprises lancés dans une démarche responsable, facilement duplicable dans vos organisations à découvrir et à partager !
John Lewis Partnership : une démarche volontaire de partage de la valeur
Entreprise pionnière dans le partage du pouvoir et des profits, John Lewis Partnership à développer en 1950 un modèle coopératif de société dans lequel il n’y a aucun actionnaire extérieur et toutes les actions de la société sont détenues dans un fonds commun spécialement créé pour les salariés.
-> Découvrez la démarche de la 3e plus grande entreprise privée du Royaume Uni
Danone : inclut des critères RSE dans son système de rémunération
Autrefois indexé sur des critères principalement économiques, Danone a repensé son système de rémunération de sorte à le répartir sur 3 critères égaux : économique, managérial et sociétal.
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Conférence World Forum & SoBiZHub autour des entreprises à mission
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