Article de fond

Une brève histoire du bien commun

Une brève histoire du bien commun

Le bien commun, même chose que l’intérêt général ? Qui le définit ? Qui s’assure qu’il est respecté ? Petit rappel sur l’histoire du concept, et la valeur qu’il conserve au XXIe siècle.

De l’intérêt général au bien commun

Le bien commun en tant que notion philosophique apparaît au XIIIe siècle sous la plume de Thomas d’Aquin. Thomas relit La Politique, dans laquelle Aristote affirme que la cité suppose “l’existence d’un bien commun […]. Tout comme le tout est plus important que la partie et lui est antérieur […], la cité est antérieure à l’individu […] et son bien est d’une dignité plus élevée […] que celui de chaque individu pris en lui-même […].” Mais pour le philosophe dominicain, cette conception se mâtine d’une approche religieuse : le bien commun, c’est l’organisation politique et sociale qui permet de tendre vers Dieu. Le salut est le principe directeur de la société, celui qui garantit le “bien” pour tous.

il existe deux grandes conceptions de l’intérêt général. D’un côté, la vision anglo-saxonne qui postule que “l’intérêt général résulte […] de la somme des intérêts de chacun”, dans une approche très libérale des droits individuels. De l’autre, la vision républicaine à la française pour qui “l’intérêt général se comprend comme une finalité qui dépasse la somme des intérêts individuels.”

En ce sens, le bien commun pourrait d’abord être compris comme un synonyme de l’intérêt général, qui absorbe les intérêts particuliers — parfois contradictoires — vers un horizon qui bénéficierait à tous. Comme l’explique un riche article de Chrystèle Basin pour Solidarum, publié par Usbek & Rica, il existe deux grandes conceptions de l’intérêt général. D’un côté, la vision anglo-saxonne qui postule que “l’intérêt général résulte […] de la somme des intérêts de chacun”, dans une approche très libérale des droits individuels. De l’autre, la vision républicaine à la française pour qui “l’intérêt général se comprend comme une finalité qui dépasse la somme des intérêts individuels.” Dans cette conception, l’État joue un rôle dirigiste : “La puissance publique s’est progressivement affirmée comme la garante ainsi que la conceptrice de cet intérêt supérieur, sachant en théorie mieux que quiconque ce qui conviendrait à tous et se méfiant du désir individuel qu’il conviendrait d’encadrer, voire de réfréner.” Or la notion de bien commun, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, vient précisément répondre aux limites de ces deux acceptions de l’intérêt général — d’un côté une vision libertarienne qui soumet les êtres aux excès du capitalisme, de l’autre une conception exclusive qui contraint les désirs individuels.

La nécessité de l’engagement

Car au XXe et surtout au XXIe siècle, la définition du bien commun qui prévaut est beaucoup plus horizontale : le bien commun n’est ni une somme d’intérêts individuels disparates, ni une direction arbitraire fixée par l’État ; il émane de la communauté et se rapporte aux biens que peut se partager cette communauté. En 1944, dans Autorité et bien commun, le philosophe et théologien Gaston Fessard définissait ainsi le bien commun en trois dimensions, raconte Alain Giffard, directeur du Groupement d’intérêt scientifique culture-médias et numérique : “1. le bien de la communauté : les biens publics ou autres mis en commun ; 2. la communauté du bien : le caractère effectif de l’accès de chacun aux biens communs ; 3. le bien du bien commun : la nature et l’équilibre de la relation entre l’individu et la communauté.” Au XXIe siècle, dans une époque en quête de réponses face aux crises et qui expérimente grâce à Internet une horizontalité inédite dans les rapports sociaux, le bien commun tient certes au partage des ressources communes, mais aussi à la manière dont on veut faire société. Chrystèle Basin répertorie quelques définitions contemporaines. Ainsi, pour le philosophe François Flahault, le bien commun est ce qui permet à chacun d’“avoir sa place parmi les autres et jouir d’un bien-être relationnel”. Pour Alain Giffard, “le bien commun (…) implique plus que le respect de la loi, comme exprimant l’intérêt général. Il nécessite un engagement de chacun comme condition de fonctionnement de la règle. Le bien commun n’est pas une norme ; il n’est pas défini par convention ; mais il existe cependant comme objet d’une discussion entre personnes responsables.” En somme, le bien commun est élaboré par les citoyens eux-mêmes, dans une démarche consciente. “Être citoyen signifierait moins respecter ses devoirs en échange de la garantie de ses droits que participer à la société, y apporter son intelligence, son temps, ses compétences, tout en pouvant décider de la nature de sa contribution”, écrit Chrystèle Basin.

Définir un intérêt commun

L’une des traductions les plus concrètes de cette réinvention de l’“intérêt général”, c’est justement le retour de ce qu’on appelle les communs, ou les biens communs — “biens” étant cette fois entendus au sens économique du terme. Les communs, ce sont des ressources naturelles, matérielles ou immatérielles autour desquelles une communauté décide de s’organiser pour les administrer. L’exemple le plus connu est peut-être l’encyclopédie en ligne Wikipédia, ou les jardins partagés que l’on croise de plus en plus souvent en ville. Pour le chercheur américain David Bollier, cité dans un dossier d’Usbek & Rica sur les communs, il s’agit d’une “nouvelle manière de penser et de prendre soin des ressources qui n’appartiennent ni à un acteur privé, ni à un acteur public, et qui sont partagées et gérées par une communauté qui en définit les droits d’usage (accès, partage, circulation).” Les efforts d’organisation qui sont déployés pour définir l’accès aux biens communs relèvent donc du bien commun : “participer à un commun, c’est expérimenter l’auto-organisation, c’est mettre en pratique sa responsabilité citoyenne dans une société qui a tendance à tout attendre des circuits d’autorité classiques”, écrit Usbek & Rica. C’est, en somme, définir sa place dans la société tout en la construisant ; c’est attendre plus du “vivre ensemble” que la garantie de ses droits.
Toute la question, c’est de savoir ce que l’on veut construire ensemble : comment décider de ce qu’est un intérêt commun ? Pour Hubert Allier, membre du Conseil économique, social et environnemental, cité par Chrystèle Basin, il s’agit moins de chercher une définition que d’identifier des objectifs. Il en donne trois : la garantie d’un épanouissement personnel, les conditions d’un bien-vivre ensemble et la responsabilité vis-à-vis des générations futures. Une feuille de route pour un développement réellement durable.

 


 

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